Le secteur des data centers est-il pris de folie ?

9 projets de data centers sur 10 dans le monde sont retardés, et pourtant avec la vague de l’IA les annonces de data centers opérationnels dans les prochains mois se multiplient. Mais quel vent de folie s’empare de nos acteurs ?

Tribune de Yves Grandmontagne, rédacteur en chef de Datacenter Magazine ?

Le sommet français pour l’IA a été l’occasion d’assister à des annonces qui laissent rêveurs plus d’un acteur du marché. On y apprend que tel projet sera opérationnel dans six mois, tel autre avant la fin 2025, qu’un troisième sera construit dans une région qui ne dispose ni de suffisamment de foncier ni de suffisamment de puissance électrique, etc. Le meilleur côtoie l’irresponsable !

Certes, la démarche est plus liée aux effets d’annonces qu’à la réalité d’un marché où les projets ne se construisent pas d’un claquement de doigts. Mais la communication poudre aux yeux aveugle jusqu’aux politiques, elle fait oublier le réalisme qui devrait s’imposer sur des projets dont certains se déclinent en milliards d’euros.

Quelle est d’ailleurs cette réalité ? D’abord, c’est celle d’un marché qui explose, et où l’argent semble couler à flot, nous le mesurons au quotidien sur notre média. Synergy Research Group a détecté 497 projets de data centers dans le monde, et ils sont certainement plus nombreux à l’orée des 315 milliards de dollars d’investissements annoncés par les hyperscalers pour la seule année 2015.

Derrière ces chiffres à faire rêver, et qui justifient à eux seuls que s’engouffre tout un écosystème à la suite des plus gros investisseurs de la planète, se cache un optimisme exacerbé qui pourrait bien mener une partie de ces acteurs et du marché à leur perte. Car on en oublie la réalité au-delà des effets d’annonces, car selon Atif Ansar, cofondateur de Foresight Works :

  • 9 projets de data centers sur 10 accusent un retard ;
  • et le retard est en moyenne de 34 % ;
  • ce qui se traduit par une prolongation de la majorité des projets de 2 à 3 ans ;
  • et par des pénalités financières qui, avec la surenchère sur les investissements et les contrats, va finir par frôler l’insolence !

Il serait facile de pointer les délais administratifs, en particulier en France, or ils sont connus et devraient donc être intégrés au process. Egalement facile d’invoquer les contraintes énergétiques, dont selon CBRE la résolution peut prendre de 2 à 6 ans, mais là encore on ne peut les ignorer.

En réaction à cette réalité, le plus gros risque ce n’est pas l’accumulation de retards, c’est le modèle économique du data center qui pourrait en prendre un coup, car comme le remarque Atif Ansar, « Un retard de trois mois peut pratiquement anéantir la valeur actuelle nette d’un data center. Vous pouvez exploiter le data center pendant dix ans, mais d’un point de vue économique et de rentabilité, vous risquez de ne jamais atteindre les prévisions initiales de vos investisseurs ».

Les porteurs de projets et leurs partenaires ont leur part de responsabilité dans cette situation à risque, à laisser croire que tout est facile et que l’argent continuera de couler à flot. Mais à chercher l’argent facile sans l’accompagner de la rigueur, les constructeurs et les équipementiers pourraient également participer à mettre le secteur du data center en danger.

Et si l’on revenait à plus de réalisme et de responsabilité ? L’époque est devenue favorable aux data centers, ne la gâchons pas…

à lire