Tribune de Yves Grandmontagne, rédacteur en chef de DCmag
Bluffdale, au nord de l’Utah, est l’un des lieux emblématiques de cet état américain qui, principalement autour de Salt Lake City, compte pas moins de 25 datacenters de colocation. On y trouve en particulier le campus de la NSA, sur plus de 90 000 m², dont 9 000 m² environ sont réservés à un datacenter qui consomme 65 MW (il faut bien cela pour espionner la planète, amis européens compris…). Et pas très loin le campus géant de Eagle Mountain, où Facebook a implanté des datacenters.
Tout ce petit monde accumule les serveurs et les données, qu’il faut refroidir. La technologie de cooling retenue est bien connue : le refroidissement par évaporation. C’est la méthode déployée par les Gafam sur la majorité de leurs datacenters hyperscale dans le monde, sauf dans le nord de l’Europe où ils ont choisi le free cooling, on les comprend ! De quoi engloutir quotidiennement des millions de litres d’eau.
L’eau exploitée est qualifiée de ‘culinaire’, une l’eau ‘domestique’ traitée pour être utilisée dans les cuisines, les salles de bain, pour être bue également, ce qui la différencie de l’eau d’irrigation, impropre à la consommation mais destinée à de multiples usages, sauf au refroidissement des serveurs semble-t-il.
En entrée dans le datacenter, cette eau est de nouveau traitée, avec des produits chimiques afin d’éviter l’accumulation de tartre et de légionellose, entre autres. En sortie de datacenter, l’eau réchauffée peut être éventuellement réutilisée plusieurs fois, mais pas trop car à force de la traiter elle se dégrade. Enfin elle est évacuée, tout du moins ce qu’il en reste car une partie est perdue par évaporation, et elle rejoint la rivière, ou au mieux elle servira à irriguer les parcs de la ville.
Combien un datacenter consomme-t-il d’eau ?
Difficile de répondre à cette question, tant chaque datacenter est différent dans ses méthodes de refroidissement et sa consommation d’eau. Cependant, le datacenter de la NSA pourrait figurer dans le classement du pire des pratiques.
A Bluffdale, au cours des 12 mois de juin 2021 à mai 2022, le campus de la NSA a consommé 128 millions de gallons d’eau, soit environ 485 millions de litres. C’est ce que consomment 2 800 habitants de l’Utah, réputés comme les plus gros consommateurs d’eau des Etats-Unis.
A Eagle Mountain, sur la même période, le campus de Facebook, d’une superficie proche, a consommé un peu plus de 49 millions de litres d’eau.
Un goutte d’eau dans les rivières qui se jettent dans le Great Salt Lake… Certes, mais au moment où la Terre subit une surchauffe généralisée, chaque goutte d’eau épargnée compte. Ainsi aux Etats-Unis, les datacenters entrent dans le collimateur des communes et des services de gestion de l’eau où ils sont implantés à la vue de leur consommation, souvent jugée irresponsable.
Et dans le même temps, notre exemple le démontre, selon les stratégies et les technologies adoptées, les résultats sont impressionnants : à taille équivalente, les datacenters de la NSA consomment dix fois plus d’eau que ceux de Facebook, qui n’ont pourtant pas la réputation d’être les plus vertueux sur ce plan. A Eagle Mountain, la ville dépend des eaux souterraines, mais face à la consommation de Facebook, elle s’est résolue à faire appel au district de conservation de l’eau de l’Utah pour compléter un approvisionnement déficitaire.
Face à ce qui vu de notre côté de l’Atlantique ressemble à des dérives à l’échelle du continent nord américain, les datacenters européens sont décidément les bons élèves de la classe. Ils le sont déjà sur l’énergie, tout du moins les plus récents.
Le plus étonnant dans ces deux exemples, c’est que l’opposition aux datacenters ne provient pas des autorités locales. Pourquoi ? A Bluffdale, la NSA finance de nombreux équipements ; à Eagle Mountain, la motivation se nomme ‘recettes fiscales’. Et puis, ces datacenters consomment moins que les volumes d’eau qu’ils ont réservé contractuellement, a-t-on remarqué, alors pourquoi s’en préoccuper ?
Il est temps d’étendre nos préoccupation au-delà de l’énergie et d’observer nos pratiques sur l’eau. A quand la mesure du WUE (Water Usage Effectiveness), sur le modèle du PUE, dans tous les datacenters ?
Les données citées dans cet article sont extraites de The Great Salt Lake Collaborative
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