La course à la communication sur le Green IT et une approche uniquement politique font perdre de vue les enjeux concrets, qui ne sont pas juste une question de tonnes de CO2. Au-delà de fixer des objectifs de réduction de l’empreinte carbone, c’est une vraie démarche de sobriété numérique qu’il est nécessaire de généraliser.
Expert - Loïc Besnard, Director of Product Marketing & Head Technology Evangelist chez EasyVista
Usages numériques : un impact environnemental croissant
L’impact environnemental du numérique est principalement lié à sa consommation d’énergie. S’il ne représente aujourd’hui que 2,5% de l’empreinte carbone en France (étude Ademe-Arcep), ce chiffre va irrémédiablement croitre si rien n’est fait, tant sa consommation augmente et se diversifie d’année en année.
Réseaux de communication, diffusion en continu de contenus multimédia (notamment vidéos et musique en streaming), cycle de vie des appareils électroniques, centres de données, cloud computing… : selon les projections de l’Ademe et de l’Arcep, le secteur du numérique en France pourraient tripler ses émissions carbone d’ici à 2050 pour atteindre les 50 millions de tonnes.
Cet horizon est d’autant plus préoccupant que les nouveaux usages liés au numérique (blockchain, réseaux neuronaux, IA, …) sont toujours plus énergivores. Le temps de la loi de Moore et du doublement de la puissance des ordinateurs tous les deux ans est loin : déjà en 2018, une étude d’OpenAI montrait que la puissance de calcul utilisée pour entrainer les algorithmes d’intelligence artificielle augmentait de manière exponentielle avec un doublement tous les 3,4 mois. Depuis 2012, cette puissance de calcul a été multipliée par 300 000 !
Dans ce contexte à la fois large et complexe, les pouvoirs publics incitent les professionnels comme les particuliers à prendre conscience de cet impact environnemental et à adopter des usages numériques responsables. Cette volonté prend notamment corps dans la loi REEN, qui vise à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Parmi ses orientations, elle définit l’obligation pour les communes de plus de 50 000 habitants d’élaborer, au plus tard le 1er janvier 2025, une stratégie numérique responsable visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique et à prévoir les mesures nécessaires pour les atteindre.
Concrètement, comment ces communes peuvent définir et mettre en œuvre une telle stratégie, et comment les entreprises peuvent s’en inspirer ?
Au-delà des objectifs de réduction des émissions carbone : la sobriété numérique
Le décret d’application de la loi REEN à destination des communes de plus de 50 000 habitants propose plusieurs objectifs pour la stratégie numérique responsable, notamment :
- La commande publique locale et durable, dans une démarche de réemploi, de réparation et de lutte contre l’obsolescence ;
- La gestion durable et de proximité du cycle de vie du matériel informatique ;
- L’écoconception des sites et des services numériques ;
- La mise en place d’une politique de sensibilisation au numérique responsable auprès de tous afin de sensibiliser aux enjeux environnementaux du numérique et de l’inclusion numérique ;
Ces objectifs peuvent aisément être transposés dans n’importe quelle entreprise, quels que soient son secteur et sa taille.
Mais, qu’il s’agisse d’une organisation publique ou privée, ces incitations ne doivent pas se traduire par une course à la communication sur le Green IT et la réduction des émissions carbone.
Notre impact numérique sur l’environnement n’est pas juste une question de grammes ou de tonnes de CO2. C’est une question d’usages compulsifs en croissance constante, qu’il est au moins nécessaire de corriger, sinon d’inverser. Pour reprendre la formule de Jean-Marc Jancovici à propos des véhicules (mais qui doit s’appliquer à bien des domaines, dont le numérique) : « On va devoir s’organiser avec moins ».
Il ne s’agit pas simplement d’éteindre la lumière quand on quitte une salle de réunion ou d’éviter d’imprimer un e-mail. Il s’agit d’adopter une sobriété numérique au quotidien et de manière irréversible. Par exemple, en limitant significativement le nombre et la variété des équipements mis à la disposition des collaborateurs (il n’est pas nécessaire d’avoir un PC portable + un ou plusieurs écrans de bureau + une tablette), ainsi que la fréquence de leur renouvellement (il n’est pas nécessaire de remplacer un smartphone tous les ans ou tous les deux ans).
Ainsi, la responsabilité des organisations est d’avoir le courage de dire aux usagers et aux collaborateurs qu’il va falloir se passer d’une bonne partie d’un confort numérique considéré comme acquis.
A l’heure de l’émergence des « entreprises à impact », voilà une raison d’être qui prend tout son sens.