Posons-nous la question, quels seront les effets de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis sur les datacenters ?
Tribune de Yves Grandmontagne, Rédacteur en chef de DCmag
La première réponse est simple : elle ne changera pas grand chose dans les prochaines années ! Le cloud est en place, la vague de l’IA est engagées, les investisseurs sont dans la place, la course à la puissance ne risque pas de s’arrêter de sitôt, et le marché continuera de profiter aux acteurs du datacenter.
Beaucoup d’observateurs s’attendent même à une accélération, tout du moins aux Etats-Unis. Tout d’abord parce que Donald Trump est très attendu sur le réglementaire, qu’il pourrait assouplir, plus particulièrement dans la construction. Ce secteur pourrait profiter du soutien qu’il lui a apporté durant sa campagne. De même que celui des crypto-monnaies dont Trump veut faire des USA la capitale mondiale. Que du bon pour la multiplication des infrastructures d’IA américaines.
Le futur Président a promis d’approuver rapidement les projets d’infrastructures électriques. Il devrait également affaiblir ou supprimer les réglementations sur les évaluations environnementales et d’autres réglementations en matière de développement durable qui ralentissent les projets d’infrastructures. Reste à savoir le poids que pèsera une immigration plus stricte qui privera les constructeurs américains d’une partie de leur main-d’oeuvre ?
Un domaine sensible affiche plus d’inquiétude, celui des énergies renouvelables. Donald Trump est un climato-sceptique, qui plus est il s’entoure de climato-sceptiques qui seront nommés à la tête d’administrations concernées par l’environnement. C’est mort pour maintenir le réchauffement climatique dans la fourchette de 1,5°C !
On peut s’attendre à l’opposé à ce que les Etats-Unis relancent des centrales à charbon et nucléaires déclassées afin de continuer d’augmenter la capacité de production d’électricité. A la condition cependant de revoir les réseaux de distribution. Ce qui dépendra principalement de la capacité des administrations fédérales et locales à étendre les sous-stations.
Rappelons que le futur Président américain a affirmé plusieurs fois que les éoliennes tuent les baleines et causent des cancers !
La consommation d’énergie et l’utilisation des énergies renouvelables sont susceptibles d’être dé-priorisées, ce qui devrait pousser les datacenters à s’investir plus fortement dans l’auto-production d’énergie, de plus en plus en propre après être passés par des accords de type PPA avec des énergéticiens, ces accords relevant plutôt du droit privé que des réglementations fédérales. Il se construira plus de datacenters à proximité des centrales thermiques et nucléaires. Et la construction de SMR, les petits réacteurs nucléaires modulaires, devrait se confirmer.
La présence d’Elon Musk, devenu en quelques mois très proche de Donald Trump, devrait également favoriser ces mouvements. En particulier sur le stockage massif d’énergie sur batteries. Là aussi le réglementaire américain devrait s’assouplir, ce qui va créer de fortes distorsions face au réglementaire européen, ce dernier se faisant plus contraignant.
Le milliardaire a également promis de réduire de 2 000 milliards de dollars les dépenses publiques… Combien d’administrations vont réduire la voilure, voire fermer boutique, entraînant la fermeture de leurs datacenters ? Et peut-être entraîner l’agonie de la NASA au profit de SpaceX et du service satellitaire Starlink, qui obtiendrait la préférence au déploiement de la fibre !
C’est un des points essentiels que la ré-élection de Donald Trump va faire peser sur le marché des datacenters : moins de réglementation, moins de conscience environnementale, et plus de facilités pour accéder aux ressources fédérales pourraient bien inviter des porteurs de projets à se détourner de l’Europe et de son réglementaire stricte pour se déployer aux Etats-Unis.
Surtout que Donald Trump va souffler un vent de protectionnisme économique et sécuritaire qui va inciter à plus de souveraineté américaine. Mais sur les datacenters, cela devrait s’accompagner d’un phénomène pervers : concentrer et conserver la donnée sur le territoire américain devrait se traduire par une augmentation des cyberattaques, en volume ou en sophistication, donc plus d’attaques contre les datacenters américains.
Côté équipementiers et semi-conducteurs, Donald Trump l’a confirmé durant sa campagne, il dénoncera les pratiques de son prédécesseur qui a ouvert les caisses fédérales à un programme massif de soutien à l’industrie des puces dont profiteraient également des entreprises non américaines, comme les fondeurs taïwanais. Et s’il met en application sa menace d’affaiblir la protection de Taïwan, Donald Trump risque fort de précipiter l’île dans les bras de son homologue chinois. Autant dire que cela changera le profil du marché des serveurs…
Et c’est certainement le chantier le plus difficile auquel la future administration Trump devra s’atteler : la réforme des pratiques des chaînes d’approvisionnement. Même en cherchant à contrôler et augmenter la fiscalité à ses frontières, l’administration sera soumise à une réalité simple : les Etats-Unis ne produisent qu’une faible partie des composants qu’ils consomment. Au contraire, même, les droit d’importations vont inévitablement augmenter tous les coûts de la chaîne logistique : coût de production, coût d’assemblage et coût de stockage.
Que reste-t-il à l’Europe des datacenters ? La disponibilité d’une énergie décarbonée, la latence et la souveraineté. Ainsi qu’un immense chantier engagé sur les trois à cinq prochaines années qui ne risque pas de ralentir. Mais cela suffira-t-il à soutenir longtemps le marché européen des datacenters ?