Les géants du cloud public réservent 80% des nouveaux espaces de colocation. Si les grands acteurs de la colocations en font un modèle économique rentable, cette tendance majeure entraîne une spécialisation de nombreux domaines d’emplois, qui pourrait bien les fragiliser…
Tribune par Yves Grandmontagne, rédacteur en chef de DCmag
Quel sera le taux d’occupation de votre salle informatique à l’ouverture de votre datacenter ? Cette question, tous les porteurs de projets de construction de datacenter doivent se la poser. C’est même devenu une clause incontournable chez certains financeurs, le porteur du projet doit par exemple démontrer qu’il est capable de vendre ses espaces de colocation en affichant des engagements de clients jusqu’à 30% de la surface informatique couverte avant que ne démarrent les travaux.
Cette question, pourtant, les grands acteurs de la colocation se la posent peu. Leur dimension internationale et la taille de leurs projets les met en contact avec des clients quasi naturels de gros datacenters, les géants du cloud public. C’est ainsi qu’au lancement des travaux les futurs datacenters d’Equinix à Paris, Digital Realty à Marseille ou CloudHQ à Lysses sont assurés de louer 80% de leur surface à des AWS, Microsoft Azure, Google Cloud ou Oracle Cloud (nous tenons ce chiffre d’opérateurs de ces datacenters neutres).
Cette évolution du marché sur les gros projets entraîne inévitablement une spécialisation des équipes, chez les opérateurs comme chez leurs clients, autour en particulier des technologies cloud. Spécialisation et complexification, qui vont de paire avec l’évolution des technologies et des compétences.
L’Uptime Institute a identifié 230 postes qui couvrent neuf compétences clés. Dont 47 postes sont considérés comme des stratégiques dans le datacenter, à savoir des postes à responsabilités et de décision clés (de quoi se marcher sur les pieds…). Et les datacenters devraient employer 2,3 millions d’équivalents salariés (base 40 heures par semaine) en 2025.
La spécialisation des datacenters et la sur-présence des acteurs du cloud va entraîner deux incertitudes :
- Le secteur manque de travailleurs qualifiés, comment pourra-t-on recruter à temps les talents de de main tout en évitant la guerre des talents qui règne déjà aujourd’hui, où les métiers qualifiés mais aussi les techniciens présentant de fortes compétences sont ouvertement chassés ?
- La stratégie de déploiement des infrastructures cloud sur les espaces de colocation est généralement considérée comme intermédiaire dans les stratégies des géants du cloud. Mais au final ceux-ci misent sur l’investissement dans leurs propres datacenters (à la rentabilité marginale plus forte en situation de concurrence), à l’exemple de Microsoft Azure dont chaque région cloud va s’équiper de trois datacenters propriétaires. Le déploiement des clouds chez les grands de la colocation risque donc fort d’être temporaire…
Les grands clients du CAC40 français au Fortune 500 mondial représentent la masse des autres clients des datacenters de colocation. Pourront-ils maintenir à terme cette spécialisation, où devront-ils élargir leurs spécialités pour répondre à un panel plus large de profils IT ? Ou devront-ils traîner un boulet immobilier qui risque fort de peser sur leurs résultats ?
La spécialisation laisse cependant la place à des acteurs locaux, répartis sur les territoires, capables de répondre à des organisations qui vont chercher la proximité, parfois la souveraineté, et toujours le service, mais pas celui du cloud offert par les géants américains. Ce sont des arguments qui militent pour des petits acteurs face aux gros malgré leurs arguments qui portent sur le dépassement d’échelle vers un poids d’équilibre qui les rendrait plus fiables, plus efficients sur l’énergie et moins chers.
La spécialisation des datacenters est une réalité, et elle se justifie pleinement aujourd’hui. Mais sera-t-elle le meilleur choix sur le long terme ?