Tribune : Qui veut tuer la French Tech et son écosystème ?

L’écosystème numérique français est en pleine mutation, au cœur d’une révolution économique et technologique mondiale. Toutefois, des amendements récemment proposés dans le cadre du PLF 2025 menacent gravement cet équilibre fragile.

L'auteur : Nicolas Guillaume, 39 ans, est Président du groupe français Nasca dont la filiale Netalis est un opérateur télécoms alternatif qui propose des services de connectivité et de solutions numériques dans toute la France. Expert des infrastructures Internet et réseaux télécoms, il a été également secrétaire général de l’AOTA, Association des Opérateurs Télécoms Alternatifs, structure nationale créée en 2017 qui fédère plus de 30 opérateurs régionaux partout en France. En 2024, il est nommé administrateur indépendant de la société FranceIX. Il s’exprime à titre personnel sur l’évolution du marché des télécoms B2B en France et en Europe.

Les propositions du Rassemblement National (taxe sur la bande passante) et du Parti Socialiste (suppression du tarif réduit de l’accise sur l’électricité pour les centres de données) pourraient à terme porter atteinte à la compétitivité numérique de la France et nuire durablement à son économie.

Analysons les risques…

Taxer la bande passante, pourquoi faire ?

L’idée de taxer la bande passante, tel que proposé dans cet amendement d’un député RN, semble séduisante sur le papier, surtout à l’heure où l’État cherche de nouvelles sources de revenus pour financer des politiques publiques. Cependant, cette mesure – qui n’a pas été écrite au hasard – risque de générer des effets pervers bien plus néfastes que bénéfiques.

a. Un déséquilibre dans l’interconnexion en France

Les grands acteurs de l’Internet, qu’ils soient fournisseurs de contenus ou opérateurs de réseaux, ont la possibilité de choisir où et comment ils s’interconnectent. Une taxe sur la bande passante en France aurait pour effet de les inciter à « dépeerer » (mettre fin à leurs accords d’échanges de données) dans l’Hexagone. Résultat : ces interconnexions stratégiques seraient déplacées vers d’autres pays européens, privant la France de sa place de hub numérique central.

b. Une dégradation de la qualité d’Internet en France

Ce transfert de l’interconnexion vers d’autres pays entraînerait une dégradation significative de la qualité d’Internet pour les utilisateurs français. En l’absence d’une interconnexion locale directe avec les grands acteurs du numérique, les flux de données seraient majoritairement gérés par des transitaires (opérateurs de transit IP), souvent étrangers. Cette situation ralentirait les performances, augmenterait la latence, et nuirait à l’expérience des utilisateurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises.

c. Une augmentation des coûts pour toute la chaîne numérique

Taxer la bande passante engendrerait une hausse des coûts pour les hébergeurs, qui ne manqueraient pas de répercuter cette charge sur leurs clients. Les éditeurs de contenus, les plateformes de services et les entreprises du numérique seraient directement impactés, ce qui affaiblirait leur compétitivité. Au final, c’est tout l’écosystème numérique qui en subirait les conséquences, freinant l’innovation et le développement des services en ligne en France.

Vers une hausse sensible des coûts de l’hébergement ?

Le second amendement, proposé par le Parti Socialiste, vise à supprimer le tarif réduit de l’accise sur l’électricité consommée par les centres de données. Cette mesure pourrait sembler légitime dans un contexte de transition énergétique. Pourtant, ses conséquences seraient désastreuses pour l’industrie du numérique en France.

a. Explosion des coûts pour les centres de données

Les centres de données sont parmi les infrastructures les plus gourmandes en énergie. Supprimer le tarif réduit sur leur consommation d’électricité entraînerait une augmentation drastique de leurs coûts
d’exploitation. À une époque où les acteurs numériques cherchent à réduire leurs dépenses pour rester compétitifs, cette hausse des coûts viendrait asphyxier de nombreux opérateurs de data centers.

b. Une délocalisation massive vers l’étranger

Face à une augmentation insupportable des coûts en France, de nombreuses entreprises se tourneraient vers d’autres pays européens où les tarifs seraient plus favorables. Ce phénomène de délocalisation affaiblirait l’industrie du cloud français et mettrait en danger l’ensemble du secteur de l’hébergement en France. En plus des pertes économiques, cette fuite vers l’étranger exposerait la France à une dépendance accrue à des infrastructures numériques externes.

c. Un frein à la souveraineté numérique

L’augmentation des coûts des centres de données en France, induite par la suppression du tarif réduit, constituerait un frein à la souveraineté numérique nationale. En rendant l’hébergement local inabordable, la France mettrait en péril ses capacités à garantir une maîtrise et un contrôle souverains sur les infrastructures hébergeant ses données sensibles.

À l’heure où la cybersécurité et la protection des données sont des priorités, cette dépendance aux infrastructures étrangères représente un véritable risque stratégique.

Conclusion : Un écosystème numérique français perdant

L’adoption de ces deux amendements, loin de générer les bénéfices escomptés, risquerait d’entraîner un effondrement de l’écosystème numérique français. La taxation de la bande passante et la suppression des tarifs réduits sur l’électricité pour les centres de données créeraient un environnement défavorable pour les acteurs du numérique, poussant les entreprises à se tourner vers l’étranger et provoquant une dégradation de la qualité des services en France. Au final, c’est toute l’économie numérique française qui en pâtirait.

Le numérique est aujourd’hui un pilier essentiel de notre économie. Il est donc crucial que les législateurs saisissent l’ampleur des conséquences de ces amendements et prennent des mesures qui renforcent plutôt qu’affaiblissent cet écosystème clé pour l’avenir du pays.

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