Xerfi vient de publier une étude sous le titre : « Les hébergeurs et gestionnaires de data centers à l’horizon 2026 – Les défis clés pour capturer une croissance rentable sur un marché en plein bouleversement ». 3 questions à Alexis Jouan, directeur d’études.
Le développement des centres de données semble exponentiel. Qu’en est-il exactement ?
Les moteurs qui ont porté la croissance des acteurs des centres de données en France ces dernières années continueront de jouer à plein ces prochaines années. L’explosion des données générées par les capteurs, la popularité grandissante du streaming vidéo et même l’essor de l’intelligence artificielle (IA) alimentent de fait la quantité de données à stocker ou à traiter. Parallèlement, de nombreuses organisations cessent de gérer leurs infrastructures en interne en basculant vers le cloud computing. Cette tendance à l’externalisation dope le nombre de clients des hébergeurs de centres de données. En clair, la croissance exponentielle de la demande n’est pas prête de s’arrêter.
Le parc français de data centers devrait ainsi augmenter de 20% d’ici 2026 pour dépasser les 320 unités, selon nos prévisions. La majorité des nouveaux centres sera située en région, lesquels seront surtout des sites de taille modeste opérés par des hébergeurs locaux. Ces installations « de proximité » resteront notamment appréciées des industriels et de la grande distribution. L’objectif sera de garantir aux utilisateurs des services rapides et des délais de latence réduits sur davantage de zones géographiques. Répartir davantage les capacités de calcul et de stockage sur tout le territoire français sera en effet important pour éviter de sursolliciter « quelques » data centers.
L’Île-de-France captera toutefois encore l’essentiel des investissements via la construction et l’agrandissement d’infrastructures dédiées à l’hyperscale. Les gestionnaires de centres de données continueront à augmenter leurs capacités pour répondre à une demande toujours plus forte. Ils pourront à cet effet s’appuyer sur d’importantes capacités de financement et sur les fondamentaux très solides du marché, qui séduiront encore les investisseurs. Le chiffre d’affaires des leaders de la colocation progressera de 15% par an d’ici 2026. L’activité des hébergeurs régionaux augmentera elle de 9% par an sur la période.
Les professionnels pourront-ils suivre la cadence face à l’explosion de la demande ?
En réalité, la progression des revenus des gestionnaires de data centers va être entravée par un manque d’offre ces prochaines années. La remontée des taux d’intérêt mais aussi la hausse des coûts de l’énergie et du foncier ont pesé respectivement sur la capacité d’investissement des acteurs et sur la rentabilité des projets. C’est d’autant plus vrai que les freins à la construction de nouvelles installations se multiplient entre l’intensification des oppositions locales, l’allongement des délais de construction et une aggravation des difficultés d’accès au foncier (liée entre autres à la réglementation sur l’artificialisation des sols et à la concurrence avec les entrepôts logistiques).
Les professionnels doivent alors revisiter leurs stratégies immobilières. Les leaders de la colocation pourraient par exemple adapter leur parc à l’IA en intégrant des dispositifs de calcul haute performance (HPC). En d’autres termes, la création d’espaces dédiés au HPC sur les sites existants serait une alternative à la construction de nouvelles installations spécialisées. Dans le même ordre d’idées, les acteurs peuvent moderniser des installations vieillissantes pour accroître rapidement et à moindre coût la puissance de stockage et de calcul de leur parc.
Comment les acteurs peuvent-ils s’imposer sur ce marché ?
Au préalable, rappelons que les data centers sont des actifs d’infrastructure dont l’analyse de la rentabilité doit être pensée sur le long terme. Ces sites nécessitent un important investissement initial et ne dégagent pas immédiatement de bénéfices. Les profits obtenus permettent alors de générer progressivement un retour sur investissement. Détenir une expertise en montages financiers et être capables d’embarquer des investisseurs (fonds, banques, etc.) sur les projets est dès lors tout aussi important que savoir construire et exploiter un data center pour opérer sur le marché.
Comme elles constituent des actifs malgré tout attractifs, ces installations sont de plus en plus prisées des fonds d’investissement. Ces derniers sont friands de centres edge, un segment encore émergent et dont le jeu concurrentiel est encore très ouvert. Les ressources financières joueront justement un rôle majeur dans la capacité des gestionnaires de centres de données à s’imposer ou non sur le marché. Si l’hyperscale est et restera la chasse gardée des leaders de la colocation, le jeu est plus ouvert sur les data centers edge qui se développent tout juste. De quoi intéresser des hébergeurs régionaux comme Etix Everywhere et Euclyde qui marcheraient alors sur les plates-bandes de Cogent, à la tête de 16 sites répartis sur le territoire.
Au final, les leaders de la colocation renforceront leurs positions ces prochaines années sur le marché de l’externalisation des infrastructures informatiques grâce aux financements considérables sécurisés ces derniers mois, à l’image de Data4. Ils disposent déjà de parcs importants, surtout en Ile-de-France où leurs data centers de très grande taille permettent de répondre aux besoins des géants du numérique et des grandes entreprises.
Vers un match entre centres hyperscale et centres edges ?
De nouveaux types de data centers s’imposent peu à peu dans le paysage, posant ainsi la question de savoir si la distinction entre data centers hyperscale et leurs homologues edge est pertinente. Situées en périphérie des grandes villes, les installations hyperscale sont massives, très performantes et évolutives. Elles s’adressent aux principaux fournisseurs de services cloud et aux grandes entreprises, dont les besoins en puissance informatique sont immenses. Les data centers edge sont au contraire petits, décentralisés et implantés à proximité de l’endroit où les données sont générées et utilisées. Ils sont présentés comme une révolution intimement liée au développement de la 5G et de l’internet des objets. Mais ces technologies tardent à décoller. Le terme edge est en outre employé par les acteurs du marché, qui l’utilisent aussi bien pour décrire des échelles géographiques que des types d’installations et des usages très différents. Au final, nous considérons que l’edge n’est pour le moment ni plus ni moins que la duplication en régions de la logique de garantie de services rapides et de latence minimale ayant présidé à l’implantation de data centers dans les métropoles.