Si vous envisagez d’investir dans des data centers en France, il y a un élément que vous ne pouvez pas négliger : les autorisations réglementaires.
Auteurs : Natasha Tardif, Associée, Lucile Chneiweiss, conseil, Alexandre Darius Shamloo, collaborateur cabinet Reed Smith
Points clés à retenir
- Anticiper les vérifications juridiques dès les premières étapes du projet, si vous exercez au sein d’un secteur sensible (données liées à la défense, technologies critiques, infrastructures énergétiques) ou lorsqu’une entreprise impliquée dans l’opération a bénéficié d’aides financières étrangères.
- La collecte des informations peut nécessiter du temps et des ressources, notamment parce que les notions de chiffre d’affaires et de contributions financières étrangères, au sens du droit de l’Union européenne, sont des concepts autonomes et ne figurent pas nécessairement dans la comptabilité des entreprises.
- Un dialogue proactif avec les autorités peut permettre de fluidifier l’examen du dossier et de réduire les incertitudes.
- Ces questions doivent être intégrées dès la phase de structuration de l’opération, les notifications réglementaires applicables s’accompagnant de périodes de suspension avant de pouvoir réaliser l’opération.
Bien que le contrôle des concentrations puisse s’appliquer, cet article traitera spécifiquement du contrôle des investissements étrangers et des subventions étrangères en France et dans l’Union européenne.
Pourquoi les data centers sont-ils sous les projecteurs ?
La France se positionne comme un acteur majeur dans la course mondiale aux infrastructures d’intelligence artificielle (IA). Lors du « Sommet sur l’action pour l’IA » du 10 février 2025, le Président de la République a annoncé un objectif de 109 milliards d’euros d’investissements privés pour soutenir les infrastructures liées à l’IA. Au cœur de cet effort : les data centers, indispensables au déploiement de l’apprentissage automatique avancé et des grands modèles de langage.
Les investisseurs internationaux ont réagi rapidement, avec des engagements de plusieurs centaines de millions d’euros de la part d’acteurs venus du Japon, des États-Unis ou encore des Émirats arabes unis. Pour autant, cet élan politique ne dispense pas les entreprises des obligations réglementaires en vigueur.
Les conseils suivants vous aideront à déterminer si ces obligations s’appliquent à votre projet.
Mon investissement concerne-t-il une activité sensible ?
En Europe, les préoccupations se multiplient quant aux conséquences que certaines acquisitions étrangères pourraient avoir sur la sécurité et l’ordre public.
Pour y répondre, l’Union européenne a mis en place en 2019 un cadre de contrôle des investissements directs étrangers (IDE) au sein de l’UE, afin de mieux détecter, évaluer et atténuer les risques potentiels pour la sécurité ou l’ordre public (voir la fiche d’information de la Commission européenne).
La France s’appuie également sur son propre dispositif national de filtrage des IDE, qui impose une notification obligatoire auprès du ministère de l’Économie. L’investissement ne peut être réalisé qu’après obtention d’une autorisation formelle.
Le régime français de contrôle des IDE est déclenché lorsque quatre conditions sont réunies :
- L’investisseur est considéré comme « étranger », c’est-à-dire qu’un membre de sa chaîne de contrôle est établi en dehors de la France.
- L’investissement concerne une entité ou une activité française.
- L’investissement dépasse certains seuils : prise de contrôle, acquisition de 25 % ou plus des droits de vote par un investisseur non-européen, ou de 10 % ou plus dans une société cotée par un investisseur non-européen.
- L’investissement porte sur un secteur sensible.
Les investissements dans l’écosystème des data centers peuvent être considérés comme relevant d’un secteur sensible au titre du régime français de contrôle des IDE, notamment dans les cas suivants :
- Stockage de données sensibles : Si un data center héberge un service public, tel que la santé ou le gouvernement par exemple, il peut être considéré comme critique.
- Infrastructures essentielles à la résilience nationale : cela inclut les systèmes de communication électronique et la continuité de l’approvisionnement en énergie. Les data centers qui intègrent des caractéristiques telles que des connexions au réseau à haute tension ou une technologie de réutilisation de la chaleur peuvent entrer dans cette catégorie.
- R&D liée à des technologies critiques : un décret de 2019 identifie certaines « technologies critiques », telles que les semi-conducteurs, comme relevant d’une vigilance accrue. Étant donné que les infrastructures d’IA reposent souvent sur des composants comme les GPU, ASIC et mémoires avancées, les opérateurs impliqués dans des activités de R&D ou des partenariats dans ces domaines peuvent également être soumis à un examen réglementaire.
Une des parties à la transaction a-t-elle bénéficié de subventions étrangères ?
Les investisseurs étrangers doivent également prêter attention à un niveau de contrôle supplémentaire au sein de l’Union européenne, en particulier au titre du Règlement sur les subventions étrangères (Foreign Subsidies Regulation – FSR) adopté en décembre 2022 et applicable depuis 2023.
Ce règlement introduit de nouveaux outils procéduraux, dont deux mécanismes de notification obligatoires :
- En matière de concentrations, lorsqu’une ou plusieurs aides financières ont été octroyées par un État non-membre de l’UE, et que l’entreprise acquise, l’une des parties à la concentration ou la coentreprise génère un chiffre d’affaires d’au moins 500 millions d’euros dans l’UE, tandis que les parties ont bénéficié de plus de 50 millions d’euros d’aides étrangères cumulées au cours des trois années précédant l’opération.
- Dans les procédures de passation de marchés publics impliquant des aides financières étrangères, lorsque la valeur estimée du marché atteint au moins 250 millions d’euros, et que l’offre inclut une aide étrangère d’au moins 4 millions d’euros par pays tiers sur les trois années précédant l’attribution.
La principale difficulté de ce régime réside dans la définition très large des aides financières étrangères, qui inclut aussi bien les contributions directes qu’indirectes émanant d’entités publiques ou d’organismes liés. Cela englobe notamment les exonérations fiscales, les incitations financières, les subventions au sens propre, les prêts sans intérêt ou à taux préférentiels, les financements publics de R&D, les contrats publics et d’autres.
À titre d’exemple, un appel d’offres lancé par une collectivité locale pour la construction d’un data center d’un montant supérieur à 250 millions d’euros pourrait entraîner un contrôle FSR si une entreprise de télécommunications contrôlée par un État étranger y soumet une offre.