L’Europe entend fixer des objectifs d’énergie renouvelable à atteindre d’ici 2035 dans de nombreuses industries. Les datacenters seront invités à recycler la chaleur fatale vers le chauffage des villes. Mais ce n’est pas si simple…
Tribune par Yves GRANDMONTAGNE, Rédacteur en chef de DCmag
Pour l’Europe, la moitié de la consommation d’énergie sur le continent provient du chauffage, et 70% de celui-ci est alimenté par les combustibles fossiles. Afin d’atteindre ses objectifs de réduction de l’impact environnemental, le législateur européen pousse à légiférer pour ‘inciter’ les industries à réutiliser la chaleur résiduelle vers les villes.
Concernant les datacenters, l’Europe veut exploiter la chaleur fatale dans les réseaux de chauffage urbain. Et certains états, comme l’Allemagne, s’apprêtent à imposer des quotas, comme d’offrir 10% de la chaleur fatale dès 2025 et 20% en 2028 (lire « L’Allemagne veut imposer aux nouveaux datacenters de réutiliser 30% de la chaleur fatale… mais ça ne marchera pas !« ).
Plus facile à dire qu’à faire…
De toute évidence, les politiques qui entendent fixer des règles sur l’exploitation de la chaleur résiduelle dans l’industrie n’ont pas bien compris le problème. Ou alors on ne leur a pas encore suffisamment expliqué, nous l’avons constaté.
- La première difficulté porte sur la température en sortie du datacenter, qui est largement inférieure aux attentes des opérateurs de réseaux de chaleur. Pour qu’un système de récupération de chaleur soit efficace, il faut … augmenter la température de la chaleur sortante !
- Seconde difficulté, pour augmenter la chaleur en sortie, il faut utiliser des équipements de type pompe à chaleur. Ce qui signifie qu’il faut consommer de l’énergie pour augmenter l’efficacité énergétique. Le PUE risque fort de ne pas s’en remettre !
- Troisième difficulté, le système ne fonctionne que si la chaleur produite est exploitée à proximité… La plupart des boucles de chaleur locales sont éloignées des potentiels lieux de production de chaleur à injecter. Il faut donc des canalisations, mais plus le réseau s’allonge et plus la température en circulation diminue (donc il faut chauffer encore plus) et plus les pertes augmentent.
- Dernière difficulté, comme c’est souvent le cas dans les réflexions des politiques, rien ou presque n’est dit sur le support du fardeau financier des projets de récupération de la chaleur fatale. Certes, les acteurs du datacenter se montrent vertueux et sont prêts à investir dans ces projets, mais si l’on veut abaisser la consommation énergétique du datacenter, il serait bon qu’il profite également de la valeur de la chaleur qu’il produit.
Et si on évitait de reporter toute la responsabilité des projets d’exploitation de la chaleur fatale sur les seuls datacenters ? Ces projets doivent être montés en concertation avec les autorités locales et les gestionnaires des boucles de chaleur. Légiférer sur cette question devrait également interroger sur le montage et le financement des projets. Les datacenters pourraient ainsi mieux valoriser leur consommation énergétique, tandis que les collectivités bénéficieraient d’un accès à une chaleur à un coût raisonnable apte à abaisser celui de leurs factures.
Les projets d’exploitation de la chaleur fatale qui fonctionnent démontrent une concertation entre les acteurs et une participation financière de chacun dans des ordres de grandeur raisonnables. Tirons-en les bons enseignements…