Le développement d’un projet de centre de données nécessite de raccorder le datacenter aux réseaux publics d’électricité, qu’il s’agisse du réseau public de distribution ou de transport d’électricité. Le datacenter correspond à une installation de consommation d’électricité et son raccordement ne doit pas perturber les autres utilisateurs ni le bon fonctionnement du réseau électrique.
Experts - Aurore-Emmanuelle Rubio, Avocate Associée , et Chloé Mifsud, Avocate, CMS Francis Lefebvre, Energie & Décarbonation
Lire également : « “Use it or lose it : UIOLI”: quels impacts pour le raccordement des datacenters ?«
Dans notre série d’articles dédiés aux problématiques juridiques relatives au raccordement des datacenters, le présent article envisage les possibilités de transfert des accords de raccordement à un tiers. En effet, le demandeur au raccordement d’un datacenter au réseau public d’électricité peut vouloir transférer à une tierce personne sa demande de raccordement, aussi appelée demande de « proposition technique et financière » (« PTF ») de raccordement au réseau public d’électricité, avant ou après qu’il l’a acceptée formellement, ou transférer la convention de raccordement avant complète exécution des travaux de raccordement.
Or un phénomène de patrimonialisation du raccordement a été observé. Les demandes de raccordement ont en effet longtemps été gérées suivant la logique du « premier arrivé, premier servi », qui ouvrait de fait la porte à des demandes de raccordement opportunistes, dont l’objectif principal était de sécuriser une proposition financière de raccordement qui allait ensuite bénéficier, par l’effet d’un transfert, à un tiers indépendant du demandeur initial au raccordement.
Aussi, des mesures ont-elles été prises à la fin de l’année 2024 par RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, pour éviter toute spéculation des acteurs privés sur le raccordement. Parmi ces mesures, celles relatives à la cession des PTF et des conventions de raccordement. Parallèlement, un travail de fond – qui n’est pas l’objet du présent article, a été mené par RTE pour faire évoluer sa procédure de raccordement et passer progressivement d’une logique « premier arrivé, premier servi » à une logique de « premier prêt, premier servi », avec pour objectif d’assurer que les droits d’accès aux réseaux électriques sont bien octroyés à des projets effectivement en cours de réalisation. Les règles de raccordement aux réseaux publics de distribution sont pour leur part restées plus stables.
I – Cas du raccordement aux réseaux publics de distribution
Les réseaux publics de distribution d’électricité appartiennent aux communes, qui peuvent assurer elles-mêmes, par l’intermédiaire de régies, la gestion de leurs réseaux de distribution. Elles peuvent aussi faire le choix de déléguer cette gestion à un gestionnaire de réseau de distribution (GRD). Ainsi, Enedis et quelque 160 régies ou entreprises locales de distribution (ELD) se répartissent la gestion des réseaux publics de distribution qui acheminent l’électricité à la maille locale.
Pour les besoins du présent article, nous raisonnerons à partir de la documentation technique de référence d’Enedis, qui assure la gestion des réseaux publics de distribution d’électricité sur 95% du territoire français mais en pratique, le demandeur au raccordement doit s’appuyer sur la documentation technique de référence du gestionnaire de réseau dans la zone de desserte duquel est situé son datacenter.
- Accord préalable d’Enedis
 
Les conditions générales de raccordement d’une installation de consommation en HTA (Enedis-MOP-RAC_021, en vigueur depuis le 3 juillet 2025) envisagent la cession de l’ « offre de raccordement » qui est définie, à l’article 1.3 de ces conditions générales (page 9), comme « le document soumis au demandeur par Enedis précisant les modalités techniques, juridiques et financières du raccordement ». Cette définition précise qu’il peut s’agir d’une convention de raccordement ou de son avenant, ou d’une proposition de raccordement avant complétude (la fameuse PRAC). Cette offre de raccordement intègre la proposition technique et financière.
L’article 12.6. de ces conditions générales, dédié à la « cession de l’offre de raccordement », prévoit que cette offre peut être cédée sous réserve de l’accord « préalable et écrit » d’Enedis. Sur ce point, Enedis rappelle que l’offre de raccordement est conclue en fonction des caractéristiques du site du demandeur existant au moment de la signature.
Les droits et obligations de l’offre s’appliqueront de plein droit au cessionnaire à compter de la date de cession.
- Signature d’un avenant bipartite
 
La cession donne lieu à la signature d’un avenant bipartite, entre Enedis et le cessionnaire. Le cédant n’est pas partie à l’avenant, à l’inverse de ce que prévoient les règles relatives au raccordement au réseau public de transport.
Aucune référence n’est cependant faite aux articles 1216 à 1216-3 du code civil qui encadrent la cession de contrat. On note aussi qu’a priori, faute de clause explicite libérant le cédant, il semblerait que le cédant soit tenu solidairement à l’exécution du contrat avec le cessionnaire sauf si l’avenant à intervenir en dispose autrement.
- Changement d’exploitant ou modification de la situation juridique du demandeur
 
Le changement d’exploitant du site de consommation ou la modification de la situation juridique du demandeur doit faire l’objet d’une information d’Enedis, par le demandeur et par lettre recommandée avec avis de réception.
Ainsi en cas de changement pur et simple d’exploitant sans changement d’activité, le demandeur transmet préalablement à Enedis un certain nombre d’informations relatives au futur exploitant, listées dans les conditions générales (par exemple : identité, adresse, forme juridique, numéro d’immatriculation au RCS etc.) afin que l’offre de raccordement soit cédée au nouvel exploitant.
En cas de modification de la situation juridique du demandeur (par exemple un changement d’actionnariat) et alors même que ce changement ne correspond pas à un changement d’exploitant, l’exploitant doit informer Enedis dans les meilleurs délais.
A noter qu’en cas de maitrise d’ouvrage déléguée, prévue à l’article L. 342-6 du code de l’énergie, c’est-à-dire lorsque l’utilisateur choisit de faire exécuter à ses frais et sous sa responsabilité les travaux de raccordement sur les ouvrages dédiés à son installation de consommation par des entreprises agréés par Enedis, la cession de l’offre de raccordement n’entraîne pas la cession du contrat de mandat. Les travaux doivent demeurer exécutés par le demandeur du raccordement avec lequel Enedis avait signé le contrat de mandat aux fins de maitrise d’ouvrage déléguée, autrement dit le cédant.
II – Cas du raccordement au réseau public de transport
Jusqu’au milieu de l’année 2024, les conditions de la cession d’une PTF ou d’une convention de raccordement étaient relativement simples : le demandeur devait simplement s’engager à faire part au tiers cessionnaire des droits et obligations afférents et informer RTE préalablement à la cession.
- Strict encadrement des conditions de cession
 
Depuis, la documentation technique de référence du gestionnaire de réseau de transport RTE encadre plus strictement les modalités de transfert de PTF/convention de raccordement par son titulaire.
Conformément à l’article 9-7 des conditions générales de la PTF applicables depuis le 29 juin 2024 et à l’article 8-7 des conditions générales de la convention de raccordement applicables depuis le 25 décembre 2024, la cession de la PTF ou de la convention de raccordement est soumise à deux conditions.
- Première condition : existence d’un lien capitalistique entre le cédant et le cessionnaire
 
La première condition tient à la personne bénéficiaire du transfert : celle-ci ne peut être qu’une société contrôlée par le demandeur initial, ou une société le contrôlant, ou une société contrôlée par celle contrôlant le demandeur, au sens de l’article L.233-3 du code de commerce qui retient une définition extrêmement large du contrôle. Autrement dit, le titulaire d’une PTF ou d’une convention de raccordement ne peut pas céder l’une ou l’autre à une société avec laquelle il n’aurait aucun lien capitalistique au sens du Code de commerce.
A noter que s’agissant des data centers bénéficiant de la procédure « fast track », les possibilités de cession sont encore plus limitées. En effet, les conditions générales de la convention de raccordement précisent que la cession n’est possible qu’à une société contrôlée par le demandeur ou une société le contrôlant au sens de l’article L. 233-3 précité, lorsque cette société est également l’exploitant de l’installation de consommation.
- Deuxième condition : signature d’un avenant tripartite
 
La seconde condition tient aux modalités de la cession. Celle-ci doit faire l’objet au préalable d’une information auprès de RTE, et être constatée par la signature d’un avenant entre ce gestionnaire de réseau, le cédant et le cessionnaire.
On retrouve donc là les conditions de la cession de contrat figurant à l’article 1216 du Code civil. A noter que le cessionnaire de la PTF doit également disposer de droits réels sur le terrain du raccordement. A défaut, l’une des conditions d’acceptation de la PTF serait remise en cause.
III – Structuration du projet à anticiper
La vigilance est donc de rigueur pour les porteurs de projets de datacenter, qui se lancent dans les démarches de raccordement aux réseaux publics d’électricité du data center.
Un manquement aux règles précitées en matière de cession d’une PTF ou d’une convention de raccordement aux réseaux publics pourrait en effet entrainer l’inopposabilité, et non la nullité, de la cession au gestionnaire de réseau, le cédé. Concernant la nullité, si le troisième alinéa de l’article 1216 du Code civil prévoit bien que « la cession doit être constatée par écrit à peine de nullité », la 2ème chambre civile de la Cour de cassation est venue dans une décision du 24 avril 2024 (Civ. 2e, 24 avr. 2024, n° 22-15.958) rappeler que la cession de contrat est un acte autonome (i.e. indépendant de l’accord du cédé), caractérisé par le seul transfert de la qualité de contractant par le cédant titulaire de cette qualité au tiers cessionnaire. L’écrit est donc nécessaire entre le cédant et le cessionnaire mais le cédé, c’est-à-dire le gestionnaire de réseau, est libre, par son comportement, d’approuver l’existence de son nouveau cocontractant.
La résiliation de la PTF ou de la convention de raccordement par le gestionnaire de réseau pour faute contractuelle du titulaire de la PTF ou de la convention de raccordement avec sortie du projet de la file d’attente pourrait être envisagée, tout comme un refus du gestionnaire de réseau de signer la convention d’accès au réseau avec celui qu’elle ne considèrerait pas comme son cocontractant.
Il est donc recommandé d’anticiper la structuration du projet en amont de la demande de raccordement, afin d’éviter d’éventuels surcoûts ou retards de raccordement du projet de datacenter aux réseaux publics d’électricité.

