Pénurie d’électricité, pénurie d’équipements, pénurie de matériaux… Sur un marché qui explose, les délais de livraison des datacenters s’allongent. Avec une menace dont nous n’avons pas conscience : le risque d’obsolescence des nouveaux datacenters… avant même qu’ils ne soient livrés !
Par Yves Grandmontagne, rédacteur en chef de DCmag
Le parc de datacenters a considérablement augmenté. Aux Etats-Unis, une étude de CBRE révèle que l’offre sur les marchés primaires (les principaux hubs de datacenters) a progressé de 17,6%. Mais cela ne suffit pas !
Le taux de vacance se rapproche de la totale indisponibilité (1.6 % au second semestre 2024 contre 1,9 % au premier selon CBRE).
La multiplication des datacenters favorisée par l’explosion des sources de financements ne suffit pas à répondre à la demande. D’autant que les trois quarts des nouvelles capacités d’hébergement et de colocation ont été contractées avant même d’être disponibles.
Au premier semestre 2025, 74,3 % des capacités des nouveaux datacenters rendus opérationnels étaient déjà réservées (pré-location).
La chaîne logistique mise en cause
Dans le même temps, les délais des chaînes logistiques s’allongent. Les délais de livraison mal maîtrisés rendent difficile le respect des prévisions. Un phénomène très américain, en Europe les projets de construction, mieux organisés des bureaux d’études aux contractants (qui permettent d’éviter le modèle des lots mal coordonnés), sont mieux maîtrisés. C’est encore plus problématique dans le secteur de l’énergie : sur la Silicon Valley, il n’y a plus de disponibilité électrique avant 10 ans chez les fournisseurs d’énergie.
Selon CBRE, de 2 ans le délai de construction des datacenters américains est passé à 3 ans.
Et là où l’énergie peut être disponible plus rapidement, à savoir sur les zones tier 2 ou 3 (hubs secondaires), les marchés considérés souffrent de la faiblesse des réseaux de distribution. En Europe, par exemple, depuis plusieurs années les gros projets de datacenters ont intégré la construction préliminaire de sous-stations pour accompagner les énergéticiens sous pression.
Ajoutons à la question de l’énergie celle de la pénurie des équipements. Le phénomène touche les équipements électriques, ainsi que les équipements IT (serveurs), en passant par le béton et l’acier, les industries concernées n’ayant pas anticipé le double phénomène IA/datacenter. Et la complexité croissante des normes et des procédures d’autorisation. Tout cela se traduit par un allongement des délais de livraison.
Le risque d’obsolescence
C’est une problématique émergente, qui inquiète à la fois les investisseurs, les opérateurs et les clients finaux. Pendant que l’infrastructure est en chantier, les besoins technologiques évoluent plus vite que la construction.
- L’accélération des besoins en IA se traduit par l’explosion de la demande en densités IT alors que les projets initialement conçus pour (10–15 kW/rack= deviennent sous-dimensionnés.
- Un projet pensé pour un PUE de 1,3 en 2021 peut sembler dépassé en 2025 si la concurrence affiche 1,1 ou moins avec refroidissement liquide.
- Des contraintes réglementaires, liées au durcissement rapide des législations (neutralité carbone, réutilisation de chaleur, mix énergétique contraint) peuvent rendre un design obsolète avant même la mise en service.
- La compétition avec le cloud hyperscale : les hyperscalers adaptent en continu leurs standards internes, ce qui rend plus difficile de louer un datacenter « déjà ancien » à la livraison.
Les conséquences du risque d’obsolescence dès la livraison
Les risques sont de trois ordres : pour les investisseurs, un risque accru de baisse de rentabilité et de valeur d’actifs avant même leur amortissement ; pour les opérateurs, la nécessité de revoir leurs modèles de conception en cours de projet, avec des surcoûts ; pour les clients, l’incertitude sur la compatibilité de l’infrastructure avec leurs workloads futurs, en particulier IA et HPC.
Plusieurs pistes et stratégies d’atténuation s’offrent aux opérateurs : une conception modulaire et évolutive ; la sécurisation de la supply chain avec le pré-achat d’équipements critiques ; la standardisation autour des pratiques de l’hyperscale pour garantir compatibilité ; l’intégration dès la conception de la récupération de chaleur et du stockage batterie ; et une agilité réglementaire avec le suivi en temps réel des évolutions locales pour adapter le design.
Aux acteurs du datacenter et à leurs clients de prendre conscience que plus les délais s’allongent, plus le risque est grand de livrer un datacenter déjà “daté” par rapport aux standards techniques, réglementaires et commerciaux du marché…

