Spécial datacenter dans l’espace… L’IA dans l’espace : pourquoi les réseaux de demain auront besoin d’une orbite interconnectée

Traduction d'un billet de blog de Ivo Ivanov, CEO de DE-CIX

L’essor de l’IA repousse les limites de nos infrastructures numériques. Dans de nombreux endroits, la puissance nécessaire à l’entraînement et à l’exécution des modèles dépasse déjà la vitesse de déploiement des nouvelles capacités énergétiques, et les limites physiques des réseaux terrestres commencent à influencer les débats sur l’avenir.

Lors du Forum saoudien sur l’investissement le mois dernier, Elon Musk a esquissé un avenir où la puissance de calcul de l’IA à grande échelle serait déployée en orbite, alimentée par l’énergie solaire continue et refroidie par le vide spatial. Selon lui, la situation économique pourrait évoluer d’ici cinq ans, ouvrant la voie à des scénarios où des satellites d’IA alimentés à l’énergie solaire – voire des clusters de calcul dans l’espace lointain – surpasseraient les installations terrestres pour certains types de charges de travail. Musk n’est pas le seul à envisager cette possibilité. Jeff Bezos a évoqué l’environnement lunaire comme une base potentielle pour des opérations à forte consommation énergétique, et le CEO de Google, Sundar Pichai, a récemment annoncé que Google testerait du matériel d’apprentissage automatique en orbite dans le cadre de son initiative Project Suncatcher .

L’ambition est indéniablement présente, mais elle sous-tend un véritable changement de perspective dans la manière dont l’industrie envisage l’énergie, le potentiel de calcul et l’évolution à long terme de notre infrastructure numérique. La perspective du calcul orbital introduit également de nouvelles dynamiques – et dépendances – pour la circulation des données, la structure des réseaux et la localisation des charges de travail d’IA. Les systèmes spatiaux sont appelés à devenir un élément essentiel de notre infrastructure numérique, aux côtés des datacenters terrestres, des points de présence et des hubs de réseau à haute capacité.

Ceci confirme une évidence : l’avenir de l’IA et des communications ne dépendra pas seulement de la technologie qui la sous-tend, mais aussi de l’infrastructure qui la soutient. L’interconnexion, c’est-à-dire l’échange de données à haute performance entre les réseaux, les plateformes et les points de calcul, est déjà devenue une nécessité pour l’IA.

Si le calcul d’IA s’étend vers l’espace, il est logique que l’environnement d’interconnexion qui le soutient doive lui aussi s’étendre. Il ne fait guère de doute que l’IA s’étendra au-delà des limites de la Terre ; la question que nous devrions nous poser est celle de savoir comment les futurs systèmes au sol et en orbite seront liés pour prendre en charge les applications en temps réel, l’entraînement distribué des modèles et le flux général de données à l’échelle extraterrestre.

Puissance, refroidissement et limites de la Terre

L’être humain est naturellement porté à résoudre des problèmes. Le débat sur le déploiement de la puissance de calcul en orbite s’intensifie car les limites des infrastructures terrestres deviennent de plus en plus difficiles à ignorer. Les modèles d’IA nécessitent d’énormes quantités d’énergie, et leur consommation s’accroît à mesure que les entreprises augmentent leurs charges de travail d’entraînement et d’inférence. De nombreuses régions sont déjà confrontées à des contraintes de capacité du réseau électrique, et les nouveaux projets de datacenters doivent faire face à de longs délais de développement, des coûts énergétiques élevés et des procédures d’autorisation interminables. C’est ce qui pousse les leaders du secteur à explorer des environnements où l’énergie est plus abondante. Sachant que la Terre ne reçoit qu’environ deux milliardièmes de l’énergie solaire totale, le potentiel est immense. Une exposition solaire continue en orbite fournirait une source d’énergie stable, et les récents progrès réalisés dans le domaine des matériaux photovoltaïques légers rendent ce concept de plus en plus crédible pour des déploiements à grande échelle.

Le refroidissement est un autre facteur qui place l’espace au cœur des préoccupations de l’industrie. Les supercalculateurs modernes sont dominés par des systèmes de refroidissement qui augmentent leur poids, leur coût et la complexité de leur conception. En orbite, la chaleur peut être dissipée par rayonnement sans infrastructure de refroidissement traditionnelle, ce qui ouvre la voie à une densité de calcul plus élevée, affranchie des contraintes liées à la disponibilité en eau ou aux limites thermiques – deux problèmes de plus en plus préoccupants sur Terre.

Des entreprises comme Google ont déjà commencé à modéliser la rentabilité des systèmes spatiaux et estiment que la combinaison d’une énergie solaire ininterrompue et du refroidissement par rayonnement pourrait rendre certaines charges de travail viables au-delà de la Terre d’ici une dizaine d’années. Si les datacenters terrestres resteront essentiels pour des raisons de proximité, de latence (et probablement de réglementation), l’intérêt croissant pour les infrastructures orbitales montre que nous anticipons dès aujourd’hui les enjeux de demain : comment maîtriser l’empreinte énergétique de l’IA dans dix ou vingt ans ?

Construction de la couche orbitale

Si la puissance de calcul s’étend effectivement à l’orbite, ce qui est de plus en plus probable, le prochain défi consistera à intégrer ces systèmes à l’écosystème numérique global. Les satellites ne peuvent fonctionner de manière isolée. Ils ont besoin de voies structurées pour échanger des données avec la Terre, entre eux et avec les points de présence qui prennent en charge les applications en temps réel. Cela nécessitera des points d’interconnexion, un routage prévisible et des normes techniques partagées – en somme, les mêmes principes qui sous-tendent l’Internet terrestre.

Concrètement, une couche orbitale devrait fonctionner comme les écosystèmes d’interconnexion actuels, avec des points d’échange Internet (IX) permettant de se concentrer sur l’échange sécurisé de trafic, des liaisons à latence de l’ordre de la milliseconde et des voies fiables entre de nombreux réseaux et plateformes indépendants.

C’est là qu’interviennent les communications optiques, basées sur le laser. Les satellites radio constituent déjà un atout précieux pour notre écosystème de connectivité, mais bien qu’efficaces pour la couverture, ils ont tendance à souffrir d’un débit de bande passante par seconde limité, ce qui entraîne une augmentation de la latence due aux goulots d’étranglement. Or, la latence est l’ennemie de l’IA, en particulier lorsqu’il s’agit des réponses quasi instantanées requises par les services d’IA interagissant avec le monde réel. Les signaux optiques laser, quant à eux, offrent la vitesse, la bande passante et la précision nécessaires à une implémentation réussie de l’IA. Nous maîtrisons déjà quasiment à la perfection les communications optiques en espace libre (FSO) sur Terre ; le prochain défi sera de les faire fonctionner dans l’espace.

Relier la Terre à l’orbite

La réalité est que les communications optiques en espace libre (FSO) présentent encore des limites pratiques qui les empêchent de garantir des échanges de données constants et de haute qualité dans des environnements comme l’espace. Les liaisons laser peuvent transporter bien plus de données que les signaux radio, mais elles sont aussi très sensibles aux perturbations environnementales, notamment en présence de nuages, de turbulences atmosphériques et de variations de densité de l’air susceptibles de déformer les faisceaux et de réduire le débit. Pour les satellites qui doivent transmettre des données de manière fiable vers la Terre et inversement, cela demeure un obstacle majeur.

Le projet OFELIAS de l’Agence spatiale européenne étudie actuellement comment résoudre ces problèmes grâce à des protocoles et algorithmes plus performants, ainsi qu’à de meilleurs mécanismes de transfert entre les satellites et les stations au sol. Dans le cadre de ce projet, DE-CIX collabore avec le Centre aérospatial allemand (DLR) afin d’optimiser ces liaisons optiques et d’assurer une communication efficace avec les réseaux terrestres. Ces travaux s’inscrivent dans le cadre plus large des recherches de DE-CIX sur le concept d’ interconnexion spatiale (Space-IX), qui examine les besoins futurs d’une interconnexion à grande échelle en orbite. L’objectif est de permettre la circulation du trafic entre les satellites, les infrastructures au sol et les points de présence sur le réseau, une fois que les systèmes spatiaux aborderont des charges de travail significatives.

L’espace comme pilier de la connectivité

Nous maîtrisons désormais la mise en orbite des satellites, et notre maîtrise de l’IA progresse de mois en mois. De ce fait, la frontière entre la Terre et l’orbite aura bien moins d’importance à l’avenir que notre capacité à transférer intelligemment des données entre elles. C’est là que réside le véritable enjeu. Si l’espace est appelé à devenir un élément essentiel de l’avenir d’Internet – et il le deviendra assurément –, il est impératif d’en poser les fondements dès maintenant.

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