L’hébergement de données et d’applications est un marché juteux. Enfin, était. Car d’importants bouleversements pourraient changer radicalement (et définitivement ?) le jeu sur ce marché si critique pour nos usages numériques quotidiens.
Tribune de Nicolas Guillaume, CEO de Netalis
Pour avoir suivi l’évolution de ce marché depuis 1999, comme client puis prestataire, 2022 me semble être une année « big bang » : la fin du modèle traditionnel des hébergeurs.
Cette affirmation longuement mûrie est fondée sur plusieurs constats et événements en commençant par l’an dernier, en 2021.
Si tout le monde se pensait facilement hébergé ou hébergeur grâce à des grossistes d’infrastructures comme OVH, Leaseweb, Hetzner et bien d’autres, un événement tragique l’an passé nous a démontré – hélas grâce à OVH – que l’hébergement avait de la valeur pour beaucoup d’entreprises qui ont justement sous-estimé l’intérêt de ce poste dans leur activité. Choisir un hébergeur est un choix complexe mais stratégique pour les professionnels, entreprises et institutions.
Comme dans toute relation d’affaires, bien lire les conditions générales et particulières s’avère indispensable
J’invite dès à présent les DAF, DSI et autres responsables de l’hébergement à s’intéresser à la clause de la révision des tarifs lorsqu’elle est présente (et si elle ne l’est pas, posez vous des questions sur la solidité du modèle du prestataire !).
En effet, la hausse de nombreux coûts pour les prestataires risque de voir cette clause utilisée par quelques uns d’entre eux en 2022.
Après l’accident industriel d’OVH, les assureurs sont bien souvent revenus auprès de leurs clients proposant de l’hébergement pour leur signifier une augmentation de leur prime (et d’après quelques discussions, des confrères hébergeurs ont vu leur prime grimper de 30 à 50% !). Le coût dilué sur une masse importante de clients rend l’augmentation quasi-indolore, mais pour un prestataire de petite envergure, cela constitue un biais non-négligeable dans son modèle économique.
Autre point sensible, plus important encore : le coût de l’énergie
Au regard de récentes augmentations, ceci risque de rendre intenable le maintien de prix bas… Dès lors, ceux qui voudront continuer leur stratégie low-cost devront inévitablement rogner sur des coûts et retrouver de la marge autrement : moins d’humains et plus d’automatisation, support payant, participation aux frais d’alimentation en énergie. Les clients doivent se préparer à payer un peu plus cher leur hébergement en 2022 (et ce n’est pas un mal que de rééquilibrer les prix si la qualité de service suit).
Chez Netalis, certains de nos fournisseurs spécialisés (les datacenters de colocation qui nous permettent d’héberger nos équipements réseaux et serveurs) nous ont signifié récemment des augmentations de facturation des tarifs de l’énergie délivrée. Nous avons toujours réussi à supporter ces coûts sans impacter nos clients et nous souhaitons continuer à maîtriser la structure de coûts qui est la nôtre, orientée vers la qualité de service, la seule viable de notre point de vue.
S’ils ne sont pas tout à fait préservés des augmentations de charges liées aux tarifs de l’énergie, les hébergeurs possédant leur propre datacenter sont – un peu – préservés de certains effets de bord, car ils ne dépendent pas de contrats avec des grands datacenters de « colocation ».
Ces derniers, pour compenser notamment la hausse de coûts comme l’énergie, vont inévitablement remonter d’autres tarifs comme les cross connects (interconnexions internes entre clients au sein d’un datacenter) : ces services, non régulés même lorsqu’il s’agit de liens de communications électroniques, servent souvent de variable d’ajustement pour compenser des frais de structure importants.
Une fibre d’interconnexion branchée une fois (et pour longtemps) qui ne consomme pas un seul watt d’énergie coûte un loyer d’une centaine d’euros par mois (en moyenne en Europe) alors qu’aux USA, le tarif dépasse 300 $ par mois (!). Le service qui « circule dans la fibre » tel que du Transit IP, coûtera bientôt moins cher que le support de livraison, c’est à dire la fibre d’interconnexion elle-même entre le fournisseur du transit IP et son client !
Pour ne pas perdre de parts de marché et maîtriser leur structure de coûts, les prestataires disposant de « petits » datacenters de colocation vont donc inévitablement devoir remplir leurs baies plus vite (dans un monde qui voit pourtant les acteurs du Cloud croître sans discontinuer…), encourager les clients à densifier au maximum les baies avec du matériel consommant peu d’énergie (donc le matériel d’occasion n’est pas forcément le bienvenu même si cela pouvait être un très bon argument RSE) et très dense (l’hyperconvergé présente ici de l’intérêt). Sans oublier de proposer des services nouveaux, autres et éloignés de la simple colocation d’espace IT. Une nouvelle ère au sein des « datacenters neutres » pourrait-elle pointer le bout de son nez ?
Au rayon des mauvaises nouvelles, ce n’est pas tout à fait terminé
La crise sanitaire liée au Covid a enrayé la machine de la production de composants. Une pénurie est arrivée et la suite, vous la connaissez déjà : le prix des équipements (serveurs, routeurs, switchs…) grimpe, la durée d’approvisionnement s’allonge, les délais de production de services pour certains projets peuvent donc s’en retrouver rallongé. Pour certains prestataires, maintenir des prix très bas pour les clients finaux dans ces conditions relève de l’exploit désormais.
Est-ce utile d’ajouter, pour couronner le tout, le coût explosif des ressources (rares) IPv4 qui peut finir par achever ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour assurer leur croissance ? Une IPv4 coûte près de 100$ au marché gris actuellement, elle coûtait moins de 10$ il y a 3 à 4 ans avant l’épuisement des ressources.
Alors dans ce big bang du marché de l’hébergement devenu inévitable, qui s’en sortira le mieux ?
De mon modeste point de vue, ce seront les GAFAM. Ces géants sont parmi les plus gros acheteurs de composants, ils investissent dans l’alimentation en énergie propre de leurs propres datacenters conçus dans les règles de l’art, certains fabriquent leurs puces et matériels… Ils sont préservés de nombreux aléas et captent désormais une importante valeur dans le Cloud. Avoir des fonds inépuisables ou presque rend la vie toujours plus facile.
Tout n’est pas noir pour autant pour le marché, ses acteurs indépendants et clients. Car pour répondre à l’intense demande en matière de services numériques, les infrastructures et les offres d’hébergement ont changé, le développement des applicatifs aussi.
Un (très) bon développement logiciel en 2022 permet d’accueillir sur une plateforme technique un nombre massif d’utilisateurs en consommant peu de ressources de calcul : d’où l’importance des choix technologiques et de la qualité du développement qui auront un impact bien plus important que prévu dans la structure globale du coût IT.
Héberger des applicatifs, c’est aujourd’hui savoir mettre en place une stratégie technique adaptée composée de nombreux services pour supporter un trafic aléatoire à des coûts maîtrisables et ce n’est pas une mission impossible.
C’est certain, en 2022, le métier d’hébergeur ne sera définitivement plus celui que nous avons connu ces 20 dernières années. Il est nécessaire de s’adapter aux changements d’architecture orientées services demandées par les clients.
L’heure est venue d’inventer de nouveaux modèles et créer de nouvelles offres pour déjouer tous les aléas évoqués précédemment. Ce sera la seule façon de continuer à offrir une valeur perçue aux clients désireux de produire des services numériques en gardant une souveraineté partielle ou totale dans leur stratégie d’hébergement…
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