Les datacenters fantômes

L’essor des datacenters pour l’IA pose un nouveau problème : les datacenters fantômes. Des projets « fantômes » qui n’aboutiront jamais gonflent artificiellement les prévisions de charge, poussent à des investissements excessifs et compliquent la transition énergétique…

Depuis deux ans, des développeurs de datacenters provenant de tous horizons déposent massivement des demandes d’interconnexion auprès des gestionnaires de réseau et des énergéticiens, parfois pour le même site potentiel, parfois pour des sites qui ne verront jamais le jour. Une situation particulièrement sensible aux Etats-Unis.

Ces « projets fantômes » apparaissent dans les files d’attente administratives et coûtent peu au développeur (optionnalité), mais poussent les planificateurs réseau à assumer qu’une nouvelle charge va s’ajouter à l’équation énergétique nationale. Le résultat porte sur des projections de demandes supérieures, voire largement supérieures à la demande réelle qui se matérialisera.

Les projets fantômes posent problème pour le système électrique

Pour éviter tout risque de pénurie, les régulateurs doivent planifier de nouvelles sources de production, des lignes et des stations basées sur ces signaux de demande. Ces investissements sont coûteux et peuvent devenir inutiles si les projets ne se concrétisent pas, et leurs coûts seront répercutés sur les consommateurs.

Dans certaines régions du monde, des scénarios montrent que l’incertitude encourage le recours rapide à des solutions en capacité de livrer rapidement, en particulier des centrales à gaz et à charbon, retardant le déploiement optimal des renouvelables et du stockage.

Paradoxalement, alors que des plans de long terme gonflent la capacité apparente, les gestionnaires restent vulnérables aux pointes de charge réelles (par exemple en hiver), car l’infrastructure réellement en service n’est pas toujours à la hauteur des projections optimistes et des aléas climatiques, entraînant des risques opérationnels saisonniers.

Les mécanismes qui entretiennent les « phantoms »

Ces mécanismes sont connus :

  • Optionnalité commerciale : déposer plusieurs demandes coûte peu mais laisse la porte ouverte à des opportunités financières et fiscales.
  • Manque de pénalités : si une demande d’interconnexion est retirée tardivement, les coûts supportés par le réseau restent supportés par les autres acteurs.
  • Asymétrie d’information et risque financier : les développeurs affichent souvent une forte discrétion sur l’état réel de leurs financements et engagements.

Conséquences et projections

Des rapports récents affichent une grande dispersion des prévisions de consommation liée aux datacenters, ce qui rend la planification stratégique très fragile. Dans certaines régions, les datacenters représentent déjà une part majeure des nouvelles demandes thermiques prévues jusqu’en 2030.

Quant aux régulateurs, ils renforcent les règles du jeu afin de réduire l’incitation à multiplier les demandes :

  • Renforcement des règles d’interconnexion : exigence de dépôts financiers significatifs, calendriers contraints, pénalités en cas de retrait tardif.
  • Amélioration de la transparence des engagements : preuves de financement, baux signés, jalons techniques.
  • Scénarios de planification prudents et adaptatifs : modéliser des trajectoires avec probabilités de réalisation (stochastic planning) plutôt que se baser sur la somme brute des demandes d’interconnexion.
  • Accélération des mécanismes de flexibilité : stockage, capacités de réponse à la demande, contrats flexibles avec les datacenters (engagements de charge modulable) pour absorber l’incertitude sans construire excessivement.

Le boom des datacenters — et en particulier l’explosion de la demande liée à l’IA — est réel et porteur d’innovation et d’emplois. Mais la présence de « projets fantômes » montre que la gouvernance du raccordement et la qualité des signaux envoyés aux planificateurs électriques doivent évoluer rapidement. Sans cela, le risque est d’un côté une surcapacité coûteuse et peu verte, et de l’autre des risques de pénurie localisée si les projets réellement construits ne sont pas ceux qui ont été planifiés.

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