Planification territoriale des data centers : pour une intégration apaisée

Le monde d’aujourd’hui est numérique et il le sera probablement encore davantage demain. Permettant d’accroître l’efficacité et la productivité, l’économie digitale sous-tend les enjeux de transformation de notre société tout entière qu’il s’agisse de gestion intelligente des villes et des territoires ou de la création de services pour les citoyens en matière de santé, d’éducation, de culture, de divertissement, etc. Aucun domaine n’est épargné.

Expert - Fabrice Coquio, Président de Digital Realty France

Ces usages s’appuient sur des réseaux télécoms et des data centers physiques. Contrairement à ce que l’image du cloud peut laisser penser, il n’y a rien ici d’immatériel puisque tout passe par des infrastructures physiques.

Peut alors se poser légitimement la question du prix à payer de la transformation digitale de nos sociétés : comment concilier bénéfices de l’économie réelle et préservation de l’environnement ? Parmi les différents enjeux autour de la soutenabilité de ces activités et d’un développement durable vient très vite la question de l’intégration territoriale de ces infrastructures numériques. Est-il possible d’anticiper de façon concertée et apaisée l’implantation des data centers, véritables pierres angulaires de notre société de plus en plus digitale, dans leurs territoires ?

La relation ville/data center au cœur des enjeux

Ces infrastructures critiques, considérées d’importance vitale depuis 2006, sont urbaines. Elles évoluent au plus près de cœurs de réseaux informatiques historiquement situés au sein des grandes villes françaises. Positionnés sur les autoroutes de l’information, les data centers s’agrègent pour former des hubs, à proximité des sièges sociaux d’entreprises qui y louent des espaces d’hébergement. Ils se concentrent aussi près des utilisateurs de tous les services numériques hébergés en son sein, soit nous autres consommateurs.

Exposés à une réglementation extrêmement contraignante en Europe, et plus encore en France avec, par exemple, les autorisations ICPE (Installations classées pour la Protection de l’Environnement), les opérateurs considèrent étroitement leurs territoires d’implantation et consultent les publics concernés. Les déploiements de data centers se font donc aujourd’hui sur la base de critères propres à leurs opérateurs et sous la contrainte d’un véritable arsenal réglementaire.

Pourtant, si en 2021, on dénombrait plus de 200 data centers en France, aucun schéma directeur ne permet aujourd’hui de planifier leurs déploiements à l’échelle des territoires.

De la nécessité de penser et d’organiser le déploiement de telles infrastructures

Il est étonnant de constater que l’intégration de telles infrastructures, consommatrices d’énergie, exposées au regard des populations avoisinantes et ayant une emprise foncière certaine, ne soient pas pensée au préalable à l’échelle des territoires. Si la filière est assez largement engagée dans la réduction des consommations énergétiques propres à ses bâtiments (les serveurs qu’ils hébergent appartiennent à leurs clients), peut-on pour autant attendre d’elle qu’elle autoproclame seule des territoires d’implantations pré-définis ? La discussion public-privé est indispensable sans quoi la filière s’expose à des levées de boucliers ou pire à des décisions unilatérales.

Si des discussions ont cours aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas des schémas directeurs. Dans le cas de Marseille, en passe de devenir l’un des cinq principaux hubs d’échanges de données dans le monde, un comité de consultation a été créé à l’initiative de la Préfecture des Bouches-du-Rhône. Il a pour objectif de planifier, avec la Métropole, la Région Sud et le Grand Port Maritime de Marseille, dont la Ville de Marseille notamment, les déploiements de câbles sous-marins et de data centers sur le territoire. Après le temps de la consultation doit venir le temps de la planification.

Planification : transformer les contraintes du numérique en opportunités

Il est possible de transformer certaines contraintes en opportunités pour la collectivité : récupération de la chaleur pour les habitations, mise en place de réseaux de froid, exploitation des eaux grises, contribution à l’élaboration de stations électriques dédiées, proximité sièges sociaux des entreprises pour accélérer leur transformation digitale, développement d’activité « data centric », création d’un pôle numérique et de compétitivité, etc. Les bénéfices peuvent être multiples s’ils sont pensés en amont.

La mise en place d’un schéma directeur impliquant toutes les parties prenantes à l’échelle des territoires semble donc nécessaire alors que nos usages numériques (soit la croissance des données), évoluent au rythme effréné de 139 % par an ; le volume de données échangé dans le monde sera ainsi multiplié par 10 tous les 6 ans.

Tout l’intérêt d’un schéma directeur réside dans la capacité à planifier les enjeux de construction des réseaux électriques, de création de sources d’énergies renouvelables dédiées, de sanctuarisation du foncier, d’alimentation des réseaux de chaleur, tout en limitant les externalités négatives auprès des communautés locales.

Cette prévisibilité des besoins aurait pour effet d’apaiser les débats et surtout, de permettre une planification sereine et synonyme de développement d’un numérique concerté et responsable en France.

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